Vêtue d’un gros jupon, de bas résille, étouffant dans un corset surmonté d’un nœud pap’ nacré, je peaufine mon maquillage avec une douloureuse délicate paire de faux cils (oui, je sais, je suis une blogueuse mode refoulée). Je ne suis pas sûre d’atteindre la scène en toute sécurité sur mes talons de 15 cm ; je vais tenter le « glisser-déplacer » sur les orteils, quitte à mettre une demi-heure pour faire huit mètres, et tout ira bien…
Ce soir, c’est piano-bar. Oui, y’en a qui travaillent. Mon Dieu, qu’est-ce que je fais là…
Restaurant-cabaret-club branchouille, puant le luxe et l’opulence jusque dans les microscopiques amuse-gueule et le regard fourbe et hautain du personnel… Le genre de resto où quand tu vois le prix du pichet de rosé, tu te demandes comment ce type qui fait allègrement péter deux bouteilles de champ’ pourra décemment payer son loyer ces quinze prochaines années. Accrochées au bras de leur(s) homme(s)-tirelire, vêtues du très strict minimum, des filles immenses aux lèvres vermillon me jaugent d’un air dédaigneux. Je crève de chaud, je crois que je vais m’écrouler tant je ne me sens pas à ma place ici.
On m’avait dit tu verras, c’est supeeeeeer, pour 15 minutes de piano-voix, cette scène ouverte va t’ouvrir de grandes portes ! Y’a un sacré gratin dans la clientèle, franchement ça vaut le coup. Ce cabaret recherche en permanence des jeunes artistes pour renouveler ses soirées musicales… fonce !
Ambiance feutrée, répertoire cabaret jazzy, ça le fait. OK, j’ai quand même un peu l’impression de déranger, mais c’est plus stylé comme ça. Une impro ? No souci. Je m’y crois, là, je m’y crois.
Et sinon, ça se passe comment ? Je peux passer le chapeau ? Non ? Evidemment. Ce n’est pas vraiment un métier que je fais, comment oser réclamer une rémunération, c’est vulgaire auprès des clients qui meurent de chaud sous leur vison. Cela dit, dans un resto où la salade verte est à 22€… Non ? Même pas un petit geste de votre part ? Une toute petite compensation ? Non mais quelle arrogance de vouloir vivre de sa passion, quand même ! Bon. Très bien, très bien, je ne dis plus rien.
Enfin si, je dis quand même qu’elle se fout du monde à la serveuse qui m’apporte l’addition de 8€ pour mon coca. « Mais, euh, je suis la pianiste, je pensais que… ça me paraissait évident qu’en étant bénévole, au moins je… allez merde, soyez sympa, c’est juste un coca, c’est pas comme si j’avais pris les tapas à 39€ ».
J’ai profité, hein, j’ai profité. Parce que pour le même tarif, je suis mieux chez moi à jouer ce que je veux.