Si les Français qui enfilent des claquettes te font davantage penser à une vache paraplégique qu’à Gene Kelly, si tu es persuadé que Miss Saigon est le nom d’un resto chinois tendance, et si la dernière fois que tu t’es senti envahi par l’émotion de Broadway c’était grâce à la performance de Susan Boyle… alors tu n’as probablement pas assisté à La Grande Fête du Théâtre Musical, lundi dernier au Théâtre Comedia.
Dès les premières minutes, le ton était donné par un petit tacle bien senti sur la pétarade financière et médiatique de leur ennemi juré « Mozart, l’Opéra Rock »… et même si « Tatoue-moi »passe en boucle dans ton iPod, tu t’es vite fait embrigader dans cette révolution culturelle du show à l’Américaine, dont la hache de guerre fut dégainée par un échange de regard entendu avec ton voisin, tandis qu’une vague de ricanements parcourait la salle.
La grande famille du théâtre musical s’était en effet réunie pour évoquer les ancêtres Bernstein et autres Kander and Ebb, fêter l’arrivée de petits nouveaux (tu ne te lasseras jamais du déhanchement saccadé sooo seeex de Laurent Ban dans son costume de Zorro), et redécouvrir des cousins éloignés méconnus car joués uniquement dans des galas de charité auvergnats (non, n’insistez pas, je ne citerai pas de noms. Tout simplement parce que je les ai oubliés).
Aaaah, quelle fierté de te sentir membre d’une élite culturelle, de rire à gorge déployée à la moindre évocation qui ne t’est pas totalement hermétique. Cependant, une question te taraude encore : ce type, là, sujet d’un obscure quart-d’heure d’allusions aussi loufoques qu’incompréhensibles, ce brave homme en polo délavé visiblement bourré d’autodérision -et d’amis dans la salle-, et muse de détonants jeux de mots (Denis Poppins, Denis Elliot, My Fair Denis, warf warf)... bon. WHO IS DENIS ?
Tu es probablement sorti du théâtre Comedia le coeur rempli de paillettes et de projets aussi jouissifs que démentiels : intégrer l’extraordinaire chorale Diva Chorus (parce que chanter Cats et Les Misérables à 4 voix, c’est bien plus cool que les psaumes du chœur liturgique de ta paroisse) ; adopter Alexis Michalik (parce que la simple vue de ce corps uniquement vêtu d’un slip Superman t’a donné une irrépressible envie de le protéger) ; retrouver le grand écart facial de tes 7 ans (pour être aussi gracieuse et sexy avec ton balai-serpillère que les ramoneurs de Mary Poppins avec leur improbable outil de travail). Mais en prenant le métro, ton seul désir était de comprendre l’hystérie générale devant la traduction française de « Rent ».
En attendant, tu retournes sur myspace faire croire à la communauté artistique que sous ton pseudo idiot se cache la future Judy Garland.